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    Sensation

     

            Sensation

     

    Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,

    Picoté par les blés, fouler l'herbe menue,

    Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

    Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

     

    Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :

    Mais l'amour infini me montera dans l'âme,

    Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien, 

    Par la Nature, heureux comme avec une femme.

     

    Arthur Rimbaud 

     


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    Bannières de mai

     

    Bannières de mai

     

    Aux branches claires des tilleuls

    Meurt un maladif hallali.

    Mais des chansons spirituelles

    Voltigent parmi les groseilles.

    Que notre sang rie en nos veines,

    Voici s’enchevêtrer les vignes.

    Le ciel est joli comme un ange.

    L’azur et l’onde communient.

    Je sors. Si un rayon me blesse

    Je succomberai sur la mousse.

    Qu’on patiente et qu’on s’ennuie

    C’est trop simple. Fi de mes peines.

    je veux que l’été dramatique

    Me lie à son char de fortunes

    Que par toi beaucoup, ô Nature,

    - Ah moins seul et moins nul ! - je meure.

    Au lieu que les Bergers, c’est drôle,

    Meurent à peu près par le monde.

    Je veux bien que les saisons m’usent.

    A toi, Nature, je me rends ;

    Et ma faim et toute ma soif.

    Et, s’il te plaît, nourris, abreuve.

    Rien de rien ne m’illusionne ;

    C’est rire aux parents, qu’au soleil,

    Mais moi je ne veux rire à rien ;

    Et libre soit cette infortune.

     

     

    Arthur Rimbaud


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  • Le dormeur du val

    C'est un trou de verdure où chante une rivière

    Accrochant follement aux herbes des haillons

    D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,

    Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

     

    Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,

    Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,

    Dort ; il est étendu dans l'herbe sous la nue,

    Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

     

    Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme

    Sourirait un enfant malade, il fait un somme :

    Nature, berce-le chaudement : il a froid.

     

    Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;

    Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine

    Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

     

     

    Arthur Rimbaud 

     


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    Le Buffet

    C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,

    Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;

    Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre

    Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

     

    Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,

    De linges odorants et jaunes, de chiffons

    De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,

    De fichus de grand mère où sont peints des griffons ;

     

    - C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches

    De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches

    Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

     

    - O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,

    Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis

    Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.

     

    Arthur Rimbaud 


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